RGTHB-MEMOIRE 1994 Belgique
Témoignages sur le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994
Par le Comité d'organisation de l'Asbl RGTH
NDLR : le 30 mars 2018 à l'Université de Mons, l'Asbl RGTH (Rescapés du Génocide des Tutsi vivant en Hainaut), avec le soutien du CRIC (Centre Régional d' Intégration de Charleroi) et de CIMB (Centre Interculturel de Mons et du Borinage), a organisé une conférence-débat qui était articulée sur 2 témoignages de rescapés, un livre sur "Les Justes" du Rwanda et un film sur le viol des femmes Tutsi pendant le Génocide.
Mot d’accueil de la Présidente d’honneur de l’asbl RGTH en Belgique
Maître Nathalie JACQUEMIN
Tout d’abord. Un mot : Merci. Merci aux intervenants qui ont fait passer des messages émouvants, prenants et intéressants. Merci au public de sa présence attentive. Merci à l’ASBL RGTH qui a mis sur pied cette conférence-débat.
En ce qui me concerne, je suis, depuis peu, la présidente d’honneur de l’asbl RGTH et je suis très fière que les membres de ladite Asbl aient pensé à moi pour cette fonction. Je suis avocat au Barreau de Charleroi et c’est par hasard qu’il m’a été donné de rencontrer des membres de cette ASBL. J’ai pu les aider avec mes petits moyens à mettre en forme la commémoration de l’an dernier et depuis, nous ne nous quittons plus.
En ma qualité d’avocat, je me penche évidemment sur le point de vue juridique du génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda.
En 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné « sans réserve » toute négation de ce génocide et a invité les Etats membres à se donner des programmes éducatifs pour « graver dans l’esprit des générations futures les leçons du génocide, le but étant d’en prévenir d’autres dans l’avenir ».
Le 26 janvier dernier, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé par ailleurs de proclamer le 7 avril Journée internationale de réflexion sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et a rappelé par la même occasion que durant le génocide des Tutsis en 1994, des Hutus et d’autres personnes s’étant opposés au génocide ont également été tués.
En France, une loi réprimant le négationnisme du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994 vient d’être votée par le parlement français.
En Belgique, le député Gilles FORET a déposé une proposition de loi visant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis contre les Tutsis au Rwanda en 1994.
Cette proposition de loi a suscité de nombreuses polémiques. Un débat citoyen devait se tenir à la Chambre des représentants mais il n’a pas eu lieu face à des pressions politiques.
En tant que Présidente d’honneur de l’asbl RGTH, je compte interpeler le Député pour qu’il insiste sur sa proposition de loi. La Belgique, en tant que pays démocratique, ne peut se passer d’un tel instrument !
Je vous remercie de m’avoir écoutée quelques instants et vous souhaite une excellente soirée.
Nathalie JACQUEMIN
Avocat
1. Les Témoignages des Rescapés
- Angélique RUTAYISIRE
À travers son livre "D’une cœur chagriné à une plénitude de joie", elle parle de 2 périodes distinctes de sa vie : la première est la perte de toute sa famille. Pendant le Génocide des Tutsi, Angélique a perdu sa mère, ses 2 frères et sa petite sœur lâchement assassinés. 4 ans après son papa est décédé. Et pour couronner le lot de malheurs qui jalonnent sa vie, elle perd son mari après 10 ans de vie commune.
De de ces deuils successifs, Angélique est restée vidée, hébétée de douleurs.
La deuxième période correspond à une renaissance : un témoignage de foi en Christ qui l'a sauvée du désespoir, de la haine et de l'amertume.
- Le pasteur Édouard KARURANGA
Ce monsieur tutsi est marié à une femme hutu. Pendant le Génocide, il croyait sauver ses 7 enfants en les confiant à sa belle-famille. Tandis que lui s’éloignait, se cachait loin des siens dans le souci de les protéger, les frères de sa femme ont profité de l'absence de celle-ci pour aller jeter les enfants dans une rivière proche.
Après le Génocide, malgré les réticences de l'entourage, ce pasteur a repris la vie commune avec sa femme : il ne lui a jamais reproché l'assassinat de leurs enfants par leur famille maternelle.
Les 2 survivants parlent dans leurs témoignages de l’acceptation de l'impensable tragédie grâce à la foi chrétienne : ils sont parvenus à transcender leurs douleurs et à prendre le chemin du pardon.
2. Le livre sur les Justes du Rwanda "Dans la nuit la plus noire se cache l'humanité. Récits des Justes du Rwanda" est un condensé des témoignages de sauveteurs hutu qui ont fait tout leur possible pour soustraire des Tutsi des griffes des génocidaires. Et une réflexion psychanalytique de l'auteur du comportement des sauveteurs qui fait ressortir les caractéristiques d’immédiateté, de courage, de nécessité communes qui les ont poussés à braver le danger au péril de leur vie.
3. L'auteur, Monsieur Jacques ROISIN, psychologue et psychanalyste, parle de ces gens "exceptionnellement normaux" qui, dans une situation d'extrême urgence, se conduisent en héros.
4. Le film "Au Rwanda la vie après, paroles de mères" de Monsieur André VERSAILLE
Le film prête la voix aux femmes tutsi violées pendant le Génocide. Elles rendent compte de leur mal-être, des maladies héritées du viol, des enfants nés après, de la stigmatisation de ces femmes par leur propre famille. Les traumatismes physiques et psychologiques de ces personnes : mères et enfants sont pris en charge par une association SEVOTA (Solidarité pour l'épanouissement des Veuves et des Orphelins).
C'est par le biais de l'association, en la personne de Madame MUKAGASANA Godelieve, que Monsieur VERSAILLE a pu approcher et apprivoiser ces rescapés de l'horreur. Les femmes ont eu le courage de raconter les exactions qu'elles ont subies, le peu d'amour qu'elles éprouvaient envers leurs enfants nés du viol. Il a fallu un long suivi par l'association SEVOTA pour amener les mères à accepter leurs enfants et leur parler des circonstances de leur naissance. Le film finit sur une note d'optimisme où mères et enfants s'acceptent et se pardonnent mutuellement.
Tous les témoignages que, ce soit ceux des rescapés du Génocide ou ceux des Justes du Rwanda, véhiculent un sentiment d'espoir en l’humanité. Tout ce monde nous a présenté le meilleur de l'homme : l'amour du prochain, le don de soi, la solidarité, le pardon et la faculté d'adaptation à toutes les épreuves de la vie.
Témoignages du pasteur KARURANGA Édouard
NDLR: Le témoignage a été donné en Kinyarwanda (on peut l'écouter en cliquant sur ce lien). En voici la traduction.
Je m'appelle Édouard KARURANGA, j'habite à Remera dans la ville de Kigali, je suis marié et exerce la charge de pasteur dans la paroisse de Kanombe.
Avant le génocide, j'étais pasteur à Bwakira, la commune de ma naissance située dans l'ancienne préfecture de Kibuye. J'étais marié à une femme hutu et père de 7 enfants.
Pendant le génocide, devant le danger, nous avons pris le chemin de l'exil. Après un long voyage en compagnie d'autres Tutsi, j'ai pris une décision qui sera lourde de conséquences : j'ai confié ma femme et mes enfants à ma belle-famille. Naïvement, je pensais qu'ils étaient en sécurité avec leurs oncles et grands-parents. J'espère dans la survie de mes enfants car la famille de leur mère jouissait d'un certain pouvoir auprès des tueurs et qu'elle était elle-même impliquée dans le massacre des Tutsi.
J'ai continué ma fuite en croyant que ma famille était à l'abri. Je suis arrivé à Kabgayi où nous avons été sauvés par les forces du FPR.
En l'absence de ma femme, ses frères et cousins ont profité de l'occasion pour amener les enfants ; le dernier qui ne marchait pas encore est mis sur le dos par le cadet de ma femme et ils les ont jetés dans la rivière Nyabarongo.
Quand ma femme, à son retour, s'inquiéta des enfants, sa famille lui répondit qu'elle n'était pas le gardien des enfants des serpents.
Toute humanité était éteinte des cœurs des génocidaires qui sacrifiaient une partie d'eux-mêmes.
Après le génocide, j'ai appris que tous mes enfants ont été assassinés par ma belle-famille.
Beaucoup de questions se sont bousculées dans ma tête. J'aimais toujours ma femme, je ne pouvais pas vivre sans elle mais je savais que notre reprise de vie commune soulèverait pas mal de problèmes: la famille de ma femme ne mettrait plus les pieds chez nous ; le peu de famille qui me restait ne pourrait plus faire confiance à mon épouse.
Après réflexion, je me suis rappelé de l'amour qui nous liait et je suis allé chercher ma femme. Quand elle m'a vu, elle a fondu en larmes et s'est cachée. Après s'être calmée, elle m'a parlé de la mort des enfants, de la barbarie de sa famille, de la spoliation des biens de ma famille par sa famille meurtrière, de ses doutes sur la viabilité de notre future vie commune. Alors je l'ai rassurée et promis de ne jamais lui reprocher les méfaits de sa famille.
Notre couple rendait l'entourage sceptique. Au moment de Gacaca (le tribunal populaire qui a poursuivi les génocidaires), les rescapés m'ont fait comprendre que ma femme citée comme témoin pour l'assassinat de ma mère et de mes 2 frères, choisira de défendre sa famille. Cette dernière ne manquait de la menacer pour l'empêcher de dire la vérité.
Nous subissons des pressions de toutes parts mais nous avons tenu bon. Les épreuves partagées ont consolidé notre amour.
Et Dieu nous a consolés en nous faisant don de 2 garçons. Mais nos 7 enfants assassinés lâchement resteront dans notre cœur.
Voilà mon témoignage, qui comporte son lot de souffrances ; il y a d'autres témoignages peut-être plus insoutenables que le mien. J'invite ces personnes qui ont vécu l'innommable à libérer la parole ; c'est une étape importante dans le processus d'acceptation de ce qu'ils ont vécu. Et puis il faut que la vérité soit connue car toutes ces horreurs ont été commises aux yeux de tous. En tant que pasteur, j'ai appris à pardonner mais non à oublier.
Après les témoignages, il y a eu une séance de questions-réponses qui ont montré l'intérêt que les participants accordaient au thème du jour. La Présidente de l'Asbl, Madame Claire DECHEF, a clôturé la soirée en remerciant tous les participants et en les invitant à prendre un verre de l'amitié.